Bagne

 Comme beaucoup je suppose, je tape parfois mon nom dans mon moteur de recherches préféré, en espérant trouver de nouveaux documents concernant les membres de ma famille. Et c'est qu'ainsi, un jour, il y a cinq ou six ans,  je suis tombé sur le site de Guy MARCHAL, à ma grande surprise, tellement ceci était inattendu.  En effet, parmi les condamnés aux bagnes coloniaux, j'ai découvert le Sieur LAFFEZ Alfred Victor, condamné en 1895. 


J'ai donc aussitôt cherché à en savoir plus. A l'époque, les archives de l'ANOM n'étaient pas en ligne et je me suis donc tourné vers l'entraide pour récupérer le dossier dont les références m'avaient cependant été fournies par les ANOM. Je remercie la personne qui a photographié le dossier et me l'a transmis (je ne retrouve malheureusement pas le courriel correspondant, dont les traces doivent être restées en Afrique où je résidais à l'époque et que je ne pourrai pas rechercher avant longtemps.)


Avant de regarder ce dossier, je précise qu'Alfred Victor est le fils de Victor Lucien LAFFEZ, lui même fils d'Auguste LAFFEZ et de Stéphanie DELEPORTE, mes sozas 64 et 65. C'est un cousin de Théodore Jules LAFFEZ (Soza 16) et comme lui, il s'est engagé pour cinq ans dans l'armée. Mais ce n'est pas cette partie de sa vie qui nous intéresse ici, plutôt les informations qu'un dossier de bagne peut nous fournir. Je reviendrai donc sur la vie d'Alfred Victor dans un autre article. 


Décortiquons un peu ce dossier.


Il contient 20 pages qui ne racontent pas trop la vie au bagne, mais bien ce qui a amené Alfred Victor en Guyane. Ce dossier contient, entre autres:


- La page de garde du dossier, intitulé "Notice individuelle par l'administration pénitentiaire.

La première page utile ( à gauche)  informe qu'il s'agit d'un relégué, c'est à dire d'un délinquant multirécidiviste dont la société a décidé de se séparer et qu'elle a donc envoyé à l'autre bout du monde, sans retour possible. Nous avons ici l'identité du condamné, son matricule (4472)  et le numéro donné par la commission de classement (9005). Nous avons ici aussi les dates de son voyage depuis la métropole sur le navire La Calédonie ( du 17 juin au 9 juillet 1897) et la mention de son décès (l'acte de décès ayant été transmis au Maire de Lille le 05/09/1900        




La  page suivante  est un extrait des registres de l'Etat Civil de Saint Jean du Maroni. Il concerne le décès d'Alfred Victor le 12 mai 1900. Nous y apprenons qu'il avait exercé la profession de chicoretier, et  les noms et prénoms de ses parents,  Victor Lucien LAFFEZ et Adélaïde DESTOPS   





 
La page suivante liste toutes les condamnations infligées à Alfred Victor.   On y retrouve en haut la dernière condamnation suivie de toutes celles "comptant" pour la relégation, et en dernière partie les délits mineurs dont il n'est pas tenu compte pour  cette décision.

                                                                                                                                             


La page suivante nous apprend que ses parents sont décédés à Lille et que personne ne peut s'occuper de lui, ne peut le prendre en charge. 


Suit une page avec un "rapport médical" qui tient en trois lignes et informe que le détenu est de bonne constitution.



La page suivante liste les différents emplois occupés en prison.










Suit un rapport moral qui retrace les punitions subies lors des incarcérations précédentes, puis d'autres pièces dont le rapport du directeur de la prison de Landernau qui le dit apte à la relégation et informe qu'Alfred Victor simule lorsqu'il se repend, qu'il n'est pas sincère


. Le rapport de la commission de classement confirme la décision.

Suivent l'arrêt de la cour d'appel de Douai et l'avis de décès, qui informe de la cause du décès, en l'occurrence cachexie palustre, autrement dit un état de faiblesse extrême du  au paludisme combiné à une dénutrition et une malnutrition importantes, ainsi qu'un état d'épuisement important. 




La dernière pièce de ce dossier est un courrier qu'Alfred Victor a envoyé au directeur, dans lequel il réclamait qu'on lui fournisse une vareuse.

Les détenus du bagne étaient maintenus dans un état de misère impensable de nos jours. Le dénuement le plus total était la règle et il arrivait souvent que les bagnards laissent de côtés leurs vêtements pour ne pas les user trop rapidement pendant leur travail, tellement ceux-ci étaient de mauvaise qualité, et donc travaillaient nus. La nourriture était de médiocre qualité et en quantité insuffisante, la promiscuité permanente, les punitions disproportionnées. 

Le but de cet article n'est cependant pas de décrire la vie dans les bagnes de Guyane, mais plutôt d'offrir un aperçu de ce qu'un dossier de bagnard peut contenir. L'ensemble des infractions commises et des jugements émis ainsi que les maisons d'arrêts fréquentées offrent autant de nouvelles pistes de recherches pour le généalogiste. 

En recherchant les dossiers des maisons d'arrêts dans lesquelles Alfred Victor a été incarcéré, les jugements des différentes cours, son dossier militaire et même des coupures de presse, j'ai reçu une information conséquente sur la vie qu'il a mené, et cela me permettra de préparer un nouvel article retraçant "sa carrière"




Sources:

ANOM: Dossier d'Alfred Victor LAFFEZ, cote : FR ANOM COL H 3604/b, matricule 4472

Un intéressant documentaire sur les bagnards de Guyane au début du 20ème siècle est disponible sur youtube:  


  les ombres du bagne de Patrick Barbéris et Tancrède Ramonet


 

La période est plus récente, mais les règles sont bien les mêmes. 

Papillon, Le roman d'Henri Charrière et le film qui en a été tiré, de  Franklin J. Schaffner, avec Steve McQueen et Dustin Hoffman donnent aussi une assez bonne idée de l'ambiance qui régnait en ces lieux, et la partie décrivant le travail dans la jungle montre ce qu'a du être la vie d'Alfred Victor pendant son séjour, alors qu'il était affecté au camp du tigre.

4 commentaires:

  1. Une vie "hors du commun" comme pour tous ceux qui ont fini leur vie au bagne ! Nos ancêtres n'étaient pas des anges !
    Bon courage pour la suite !

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  2. Très bel article. J'ai moi-même effectué les mêmes démarches et j'ai consacré tout mon challenge 2018 au bagnard Victor Ardouin sur mon blog, tellement les archives nous fournissent énormément d'informations !

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